Au mois d’avril 2016, le pôle universitaire de Valence a fêté ses 20 ans.

À la demande de l’université de Grenoble, dont il dépend, le pôle valentinois a décidé de se donner un nom.
C’est celui de Marguerite Soubeyran qui a été retenu.

Elle a été choisie par la communauté universitaire de Valence (6 300 étudiants).

Pour en savoir plus, vous trouvez sur la Dropbox de PMH les journaux récemment mis en ligne par les étudiants.
Ils donnent une foule d’indications sur l’événement.

Voici le lien :

https://www.dropbox.com/sh/wapv2khe67wjqjo/AABOOrKhfjgREsaQg5p_xiNZa?dl=0

Programme des 2 journées :
Soubeyran Valence avril 2016Mercredi 6 avril 2016 : Commémoration
Célébration des 20 ans du bâtiment, baptême du Pôle universitaire du nom d’une femme remarquable : Marguerite SOUBEYRAN.

Jeudi 7 avril 2016 : Journée d’Etude :

Femmes en résistance : du XVIIIe siècle à nos jours.

>>>> voir ci-dessous texte de la conférence sur Marguerite Soubeyran

Lien vers le dossier de presse édité par l’université : déroulement des 2 journées.

Programme 7 avril 2016 progr gl Programme 7 avril 2016 exposés matin-7sh

Texte de la conférnce de Bernard DELPAL, université de Valence, 7 avril 2016

Valence, 7 avril 2016 – Pôle universitaire « Marguerite-Soubeyran »

Journée d’étude : Femmes en résistance, du XVIIIe s. à nos jours.

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Marguerite Soubeyran (1894-1980), une femme chaleureuse, engagée, libre.

Capture d’écran 2016-05-02 à 17.26.18Le portrait historique de Marguerite Soubeyran doit nécessairement commencer par l’évocation de trois traits de sa personnalité indissociables de sa vie et de sa biographie. Voici ceux que les témoignages et les écrits que nous avons conservés suggèrent de dégager.

Chaleureuse, parce que persuadée que le rapport aux autres passe par l’amour, la compréhension, la générosité, le partage, avec une attention toute particulière aux personnes vulnérables ou blessées. Dans les nombreuses lettres circulaires adressées à son entourage, à partir des années 1950, les tournures affectueuses abondent, tout comme dans le film qui lui a été consacré en 1973 par José Varela et François Moreuil sous le titre particulièrement bien choisi : Une école, une vie. C’est également la qualité qui lui est unanimement reconnue en 1988 par les participants à une grande émission de France Culture qui lui est consacrée : Mamie, ou Tante Marguerite, c’est ainsi qu’elle est nommée avec affection, car « … Mamie accueillait tout le monde durant les années noires, tant son cœur était grand ». Retenons qu’elle agit d’abord par humanité et affection dans ses rapports à autrui.

Engagée, elle l’est également, que son engagement soit moral, politique, social. Dans bien des moments de sa vie, la décision qu’elle prend répond à un impératif, à une véritable exigence, au point de s’exposer assez souvent, de se décaler par rapport à son temps et ses contemporains. Cependant, Marguerite Soubeyran tient à partager son engagement, être seule à avoir raison ne la tente pas. Au contraire, à chaque étape importante de son itinéraire, elle s’efforce de faire partager ses convictions et ses engagements. Si bien que son action, le plus souvent, commence par convaincre, entraîner, stimuler son entourage, et transformer ses proches en autant d’acteurs.

Ce qui la caractérise et la distingue également, c’est une grande liberté dans sa vie publique comme dans sa vie privée. Sans jamais renier son milieu ou son origine sociale, dont elle est fière, elle n’hésite pas à opérer des choix non-conformistes, à être en avance sur les mœurs de son temps, à affirmer l’autonomie de son jugement face aux idéologies, aux appareils, aux propagandes, aux conformismes.

Pour présenter cette riche personnalité, il est indispensable de consacrer un premier temps à sa biographie, une biographie qui reste à écrire du reste, et dont nous retiendrons les moments essentiels.
Dans un deuxième temps, nous présenterons un aperçu de ses engagements, qu’ils soient sociaux, politiques, moraux.
Enfin, dans un troisième temps, nous insisterons sur ce qui est le grand œuvre de « Mamie », sur l’École de Beauvallon, un projet de vie, un projet pour la vie.

I. Marguerite Soubeyran, les principales séquences de sa biographie

Elle est née en avril 1894 à Dieulefit (elle y est décédée en 1980), dans une famille protestante, de Ovide Soubeyran et de Marie Poulin. Elle est la cinquième enfant et seule fille auprès de quatre frères plus âgés qu’elle. La petite dernière est la fierté du père, la sœur chérie et protégée de ses frères. Henri, l’aîné, est né en 1875. Louis, son cadet, est né en 1877. Il est le parrain de Marguerite, avec 17 ans d’écart. Ovide, leur père, est cadre chez Morin et Cie, la principale firme textile du pays.
Voici ce que relate l’historien de la famille (Louis Soubeyran) en 1934 : « … une des plus grandes joies de mon père fut la naissance de notre sœur Marguerite, beaucoup plus jeune que nous. Le 29 avril 1894 fut pour lui une journée radieuse ; la maison se remplit de fleurs pour fêter l’arrivée de cette fille qu’il désirait depuis si longtemps.#_ftn1[1]»
Marguerite quitte la maison de Dieulefit après le cycle primaire pour effectuer un cycle primaire supérieur dans une école-foyer protestante, à Valence. Nous savons, par une correspondance échangée ultérieurement avec Jeannette Rivard, une amie et confidente très chère, qu’elle déprime littéralement (et gravement) dans cette pension privée. S’ajoute à ce trouble psychique un problème pulmonaire récurrent. Néanmoins, Marguerite obtient son brevet supérieur (en 1910 ou 1911), comme l’atteste plus tard son dossier scolaire à l’Institut Jean-Jacques Rousseau. Elle est une fille, n’a pas fait de latin, appartient à un milieu social qui ne l’envoie pas au lycée préparer le baccalauréat…

Pour frayer sa voie, elle entre en formation professionnelle à l’école d’infirmières de la rue Amyot, à Paris, sur la Montagne Sainte-Geneviève, entre le Panthéon et la rue Mouffetard, sans que la date d’entrée précise soit connue (sans doute en 1914 ou 15). Elle obtient son diplôme d’État en 1916 ou 1917 (date précise incertaine).
Pendant la Grande Guerre, comme bien des jeunes filles de la bourgeoisie, surtout les infirmières, elle travaille bénévolement dans un Centre de secours aux blessés, à Paris, par intermittence, en 1915 et 1916. Mais, souvent dépressive, craignant de surcroît d’être atteinte de tuberculose, elle décide en 1917 de revenir à Dieulefit et d’y ouvrir une pension.
Grâce à la générosité de ses frères, elle reçoit en propriété un vaste domaine de 47 ha, le domaine de Beauvallon, comportant des bâtiments. Avec son amie Jeannette Rivard, elle transforme l’un de ces bâtiments en pension de famille, en misant sur le bon air et la cure climatique. Elle y est encouragée par Georges Luigi, jeune médecin venu s’installer à Dieulefit fin 1919. Comme Marguerite, il a soigné des blessés et mutilés, et beaucoup d’hommes gazés, durant la Grande Guerre. Ensemble, ils vont créer et développer le climatisme entre les deux guerres. La pension de Beauvallon accueille des curistes, et, parmi eux, de futurs réfugiés entre 1940 et 1944 (la famille Eisenschitz, par exemple).

Mais Marguerite ne se contente pas d’accueillir des pensionnaires. Intérieurement, depuis 1926, elle nourrit un grand projet, créer une école nouvelle, adaptée aux enfants « difficiles », et surtout à ceux qui sont rejetés par l’école officielle et traditionnelle. Pour s’y préparer, son milieu familial et sa culture protestante la poussent naturellement vers Genève. En 1927, elle y part et s’inscrit à l’Institut Jean-Jacques Rousseau, à la fois pour devenir une enseignante, une fondatrice, une mère. Grâce aux maîtres de la pédagogie active les plus renommés alors en Europe, elle en revient, en compagnie de Catherine Krafft, pour fonder l’École de Beauvallon, tout près de Dieulefit. Tout commence dans les locaux de la pension, en septembre 1929, en attendant de s’installer dans les bâtiments neufs, l’année suivante.

L’année 1929 ouvre une séquence qui ne s’arrête qu’avec la disparition de la fondatrice, en 1980 : cette École aura été le projet de toute sa vie, et elle s’y est donnée sans mesure, au point d’étonner son entourage. Après le passage du film de José Varela et François Moreuil (Une école, une vie) à la télévision, à ceux qui s’étonnent, en 1973 (elle a 79 ans) qu’elle soit si active et impliquée dans l’École, elle répond : « Ce qui a frappé beaucoup de personnes, c’est que je n’en aie pas assez de mon métier, que je n’en sois pas encore dégoûtée. Comment voulez-vous que j’en aie assez ? Seule une défaillance de santé m’éloignera des miens » (des enfants et des adultes vivant à l’École). Et c’est bien en effet pour raison de santé, après une chute très grave, qu’elle se retire peu à peu de la vie de la communauté de Beauvallon et s’éteint en 1980.

II. Les engagements de Marguerite Soubeyran

Le parcours de la fondatrice de Beauvallon est marqué d’engagements multiples. Nous allons en signaler les principaux en gardant pour la 3e partie ceux qui sont directement liés à l’École de Beauvallon.

L’engagement humanitaire (en faveur des personnes menacées et vulnérables, adultes et enfants) et pacifiste

Sa sensibilité protestante, sa formation et sa profession d’infirmière, la Grande Guerre, les soins aux blessés, la violence sociale d’après guerre se combinent chez elle pour développer un altruisme et une générosité humaine inépuisables. Cela s’exprime dans son humanisme et son pacifisme : elle déteste la guerre, se considère comme citoyenne du monde, et responsable de toute situation de détresse. Catherine Krafft l’intéresse, dès leur première rencontre à Genève, au sort des Arméniens victimes du génocide de 1915 et des terribles déportations ou transferts de populations qui se multiplient depuis les massacres de 1915. Son pacifisme est renforcé par son séjour en Suisse et ses contacts avec « l’esprit de Genève » à partir de 1928 : cette année-là, la guerre est déclarée « hors-la-loi » (plus de 40 pays, toutes les grandes puissances ont signé un pacte mutuel). Son pacifisme ne disparaît pas du fait de la Deuxième Guerre : au contraire, il en est renforcé. Elle participe activement au Congrès pour la paix de Paris en 1949 (présidé par son ami Frédéric Joliot-Curie), puis organise des conférences pacifistes à Beauvallon, l’été, à partir de 1950, invite plusieurs militantes de la Fédération démocratique internationale des femmes pour obtenir l’interdiction de l’armement nucléaire, souscrit à l’appel de Stockholm et prend sa carte de membre de la Ligue Internationale des femmes pour la Paix et la Liberté. Elle fonde une section de l’Union des Femmes françaises, des militantes à la fois féministes et pacifistes (sous le contrôle du Parti communiste).

L’engagement féministe

Dans son apparence, son style personnel, Marguerite Soubeyran donne de multiples signes d’appartenance à la génération des femmes non-conformistes et féministes des années trente. Elle rejoint les mouvements et positions de rejet de la société et de la civilisation qui ont plongé le monde dans la catastrophe de 14-18. Dans sa vie privée, d’abord, elle opère des choix à la fois féministes et non-conformistes. Sa vie amoureuse et affective s’épanouit auprès de jeunes filles et de femmes, depuis sa période d’étudiante-infirmière jusqu’à l’âge mûr. Après sa rencontre avec Catherine Krafft, elles décident ensemble de former une famille parentale et d’adopter ensemble des enfants (il n’est pas de recours possible à la PMA à l’époque !). Chacune d’elles va adopter deux enfants, adoptions qui se légalisent après de longues années de démarche et de procédure, mais séparément. Ces enfants adoptés vont ensuite se marier et avoir des enfants, ainsi une descendance de Beauvallonnais se met-elle en place, les deux fondatrices deviennent des grands-mères. Aucun homme n’est présent à la première génération.
Dans la vie publique, ensuite, on relève de nombreuses empreintes féministes. Au cours de la première période de l’École de Beauvallon (1929-1945), aucun homme n’exerce la moindre responsabilité ou autorité réelle, le seul qui est mentionné est un oncle de Marguerite, ancien missionnaire à Lambaréné (au Gabon, mission rendue célèbre par le Dr Albert Schweitzer et son hôpital, ouvert en 1913). Le pouvoir appartient aux deux fondatrices, qui s’adjoignent une co-directrice, Simone Monnier, en 1936. Autre exemple : en avril 1944, avertie du projet gaulliste de donner le droit de vote aux femmes, Marguerite lance une véritable campagne de mobilisation des femmes, en compagnie de la militante Andrée Viollis [2], à la fois pour organiser leur résistance, de façon distincte de celle des hommes, et pour se préparer à la nouvelle ère politique ouverte en 1945 par les premiers votes féminins en France (élections municipales du printemps).

L’engagement politique

Cet engagement apparaît assez nettement au printemps 1939 en trois occasions. La première, c’est son investissement personnel au sein du GFEN (fondé par Adolphe Ferrière), mouvement pédagogique nettement marqué à gauche, et même à l’extrême gauche de l’époque, sous l’impulsion de deux grands intellectuels militants, très proches, Henri Wallon (même génération que Marguerite) et Paul Langevin (physicien, introducteur d’Einstein en France). C’est en leur compagnie qu’elle parcourt un chemin politique qui la conduit naturellement à adhérer au Parti communiste en 1945, et à le proclamer fièrement à Dieulefit, chez elle tout d’abord, puis au-dehors, quand elle patronne la liste départementale communiste aux premières élections législatives de 1945.
Le second engagement, c’est l’accueil des réfugiés à partir de 1939 : réfugiés qui fuient le nazisme et le IIIe Reich, notamment des juifs allemands et autrichiens, réfugiés espagnols – catalans plus exactement, qui fuient le franquisme triomphant en Espagne. Plusieurs familles s’installent dans le domaine de l’École, à la ferme en premier lieu. Cet accueil des réfugiés devient une pratique constante à Beauvallon et partout où s’exerce l’influence de Marguerite, durant la guerre, l’Occupation, et se poursuit après la guerre, sous le franquisme (accueil de Manuel Muñoz-Pons en 1949), puis lors des terribles épreuves de la décolonisation. À partir de 1968, des collectes de jouets sont organisées à destination des enfants du Viet-Nam.

Autonomie du jugement, liberté de pensée et d’action

Si Marguerite Soubeyran a adhéré avec enthousiasme au Parti communiste en 1945, elle en sort avec détermination onze ans plus tard, en raison de la publication du rapport Khroutchev (XXe Congrès, février 1956), puis de l’insurrection de Budapest sur laquelle Manuel Muñoz lui ouvre les yeux. Qu’elle soit dans le Parti ou à l’extérieur, Marguerite a été communiste librement : en 1939, elle condamne le pacte germano-soviétique et s’oppose sur ce point à Aragon. En 1956, elle condamne l’attitude de son Parti face à la guerre d’Algérie (il ne s’est pas opposé à l’envoi du contingent), puis soutient contre lui le PCA (Parti communiste algérien). À partir de 1957, elle diffuse des dessins, eaux-fortes ou linotypes (réalisés à l’École) vendus à ceux qui veulent soutenir financièrement le FLN, elle collecte des fonds, les remet aux « rebelles » [3].

III. L’École de Beauvallon, un projet de vie, un projet pour la vie.

C’est bien au service de l’enfant et de l’enseignement que Marguerite veut réaliser son grand projet, l’École de Beauvallon. Mais, au-delà, son projet est plus ambitieux encore : l’enfant une fois émancipé, libéré, éduqué, va être la force dynamique capable de changer la société et le monde.

C’est ainsi qu’elle proclame, en 1972 :

” Quel métier y‑a‑t‑il de plus beau que celui d’éducateur, qui vous oblige, pour avoir une autorité morale reconnue par l’enfant, à vous élever vous‑même, à cultiver en vous ces mêmes qualités morales dont vous lui parlez ?
Pendant les deux années d’études à l’Institut, se fortifiait en moi l’idée qu’en effet, fonder une École Nouvelle est le seul moyen pour travailler à l’élaboration d’une société future où “chaque homme serait à la hauteur de ses devoirs d’homme, et serait à sa place propre dans l’économie humaine”. (Rousseau et Ferrière).

L’école (privée et laïque) de Beauvallon a été ouverte avant la guerre (1929). Ses fondatrices, Marguerite Soubeyran et Catherine Krafft, ont voulu que leur école soit celle de l’éducation nouvelle, telle qu’elle a été conçue et expérimentée par l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève.

Marguerite a voulu y appliquer scrupuleusement « la charte Ferrière » (1925), en 30 points, dont on peut retenir quatre priorités :

– une pédagogie active, ouverte, qui place l’enfant au cœur d’un fonctionnement qui doit d’adapter à lui (Rousseau : l’enfant ne doit pas s’adapter à l’école, c’est l’école qui doit s’adapter à l’enfant) ;
– un épanouissement intellectuel qui passe par la raison, l’expérience personnelle, fruit des aspirations spontanées de l’enfant ;
– une organisation des études qui fait appel à la fois au travail personnel et à la solidarité (substituer l’entraide à la compétition, savoir travailler seul et en groupe, passer du projet individuel au travail collectif), une démarche qui privilégie l’aptitude à se documenter, à apprendre à apprendre, par ses propres moyens et se défie du savoir encyclopédique ;
– l’éducation à la responsabilité et à la vie sociale : ce domaine est souvent considéré comme la clef de la réussite. L’école, ou communauté-internat d’adultes et enfants, fonctionne comme une petite république ; elle apprend constamment à consentir à la règle qu’elle produit, pour reprendre une formule fameuse de Paul Ricoeur (« la démocratie, c’est la règle et son consentement »).

Si Marguerite Soubeyran s’applique à mettre en pratique les principes de l’IJJR (Genève), elle se montre d’une curiosité insatiable pour visiter d’autres écoles nouvelles, se documenter, puiser chez différents maîtres. Ainsi ses investigations la conduisent-elle à Summerhill (chez Alexander Neill), à Odenwaldschule (Allemagne). Elle étudie de près les rénovateurs américains, la pédagogie anglo-saxonne, John Dewey, les techniques de l’auto-évaluation. Mais également Jean Piaget (à Genève), Decroly en Belgique, Freinet, dans le Midi de la France ; à la veille de la 2e Guerre, fascinée par l’URSS, elle se passionne pour Makarenko et pense, un moment, fonder un grand établissement d’apprentissage technique selon les préconisations du pédagogue soviétique. Cependant, la technique psycho-pédagogique, aussi excellente soit-elle, est subordonnée à l’amour : « La grande loi qui prime tout : l’éducation ne se réduit pas à telle ou telle méthode ; éduquer c’est créer un climat d’amour et de compréhension où l’enfant puisse bénéficier de telle ou telle méthode » (1974).

Dès 1936, la réputation de Beauvallon et de Marguerite Soubeyran s’étend hors de France, avec le soutien du réseau européen de l’éducation nouvelle, depuis Genève. Aussi n’est-il pas étonnant que, à l’heure des périls et de la persécution, elle soit sollicitée, appelée au secours de tous côtés. À partir de 1939, Beauvallon devient un lieu de refuge, une communauté chaleureuse, un foyer où, selon le témoignage d’une grande famille allemande (les Springer), Marguerite ne reçoit pas des « réfugiés », mais ouvre sa porte à des êtres humains, à l’humanité.

Marguerite Soubeyran, en janvier 1941, décide de rencontrer Jeanne Barnier, toute jeune secrétaire de mairie (à Dieulefit) et réussit à la convaincre de fabriquer des milliers de faux papiers, fausses cartes d’identité et d’alimentation, faux permis de circuler, faux tickets de charbon. Un vrai réseau se met en place à Dieulefit, puis dans les villages voisins, pour cacher les réfugiés, scolariser les enfants, les secourir matériellement et moralement, soutenir les FFI, participer aux maquis voisins.
Vers Beauvallon, le flot ne se tarit pas durant les années d’occupation : réfugiés venus de la zone nord, étrangers en situation illégale (selon la loi de Vichy), opposants au nazisme, Français déçus de la Révolution nationale, juifs en grand danger, réfugiés politiques, artistes et intellectuels indépendants, combattants des maquis tout proches, enfants désemparés, déserteurs italiens puis allemands, républicains espagnols anti-nazis et impatients de lutter contre le fascisme, tous, à des moments divers, auront été secourus par Marguerite, ses enfants, et déclarent, à la Libération, avoir retrouvé l’envie de vivre, de survivre grâce à ce « …havre de paix, où le sentiment de sécurité venait de la confiance que chacun accordait à son prochain, des solidarités rencontrées, de « la bonté ordinaire » (Livre d’or de Beauvallon).

Fin 1944, l’École, dont il a fallu plus que doubler les capacités d’accueil depuis 1942, est exsangue, les directrices épuisées. Pourtant, « Mamie » trouve l’énergie de sauver son École en lui aménageant un nouveau statut : en demeurant école privée, laïque, en préservant ses fondamentaux, elle accomplit une mission de service public auprès des enfants difficiles ou caractériels, un statut qui lui a permis de vivre jusqu’à nos jours et d’envisager sereinement l’avenir.

Parmi les adultes et les enfants sauvés à Beauvallon et hors de Beauvallon se trouvent de nombreux juifs. Il n’a pas été difficile à Yad Vashem de trouver des témoignages de juifs sauvés pour décerner en 1969 le titre de « Juste parmi les Nations » à Tante Marguerite, en même temps qu’aux deux autres directrices, Atie (Catherine Krafft) et Simone Monnier. Fait rarissime, « Mamie », dans sa lettre circulaire du 7 avril 1970, dévoile son histoire et raconte la cérémonie de remise des médailles, des diplômes à Paris, par l’ambassadeur d’Israël, en ajoutant qu’à Jérusalem leurs noms avaient été gravés dans la pierre, et que des arbres avaient été plantés dans le parc de Yad Vashem en signe de gratitude du peuple juif. Les « fées de Beauvallon » ont été parmi les premiers Justes distingués en France [4].
Marguerite Soubeyran avait gardé le silence pendant 26 ans sur ce sauvetage des juifs à Dieulefit. Son caractère la portait à la discrétion et la modestie. Elle est très représentative de ces Français modestes et généreux, ces « héros silencieux » qui, selon l’expression de Simone Veil lors de l’entrée des Justes au Panthéon (janvier 2007), auront été l’honneur de la France à un moment noir et honteux de son histoire.

Conclusion

Avoir donné son nom au Pôle universitaire de Valence, c’est honorer sa personne, son œuvre et sa mémoire. L’université de Valence aura été pionnière en France. Que ses professeurs, ses étudiants, ses divers collaborateurs soient remerciés de ce choix judicieux. Nous croyons sincèrement pouvoir leur assurer qu’ils auront bien des occasions de s’en réjouir. Non seulement en raison du passé incarné par Marguerite Soubeyran. Mais également parce qu’elle est une personne d’avenir, spécialement dans le monde de l’éducation, et partout où se construisent des rapports pédagogiques, des relations humaines fondées sur le partage et la générosité. Elle a su poser des questions encore d’actualité (la compétition acharnée ou les pratiques mutuelles, la notation/sanction ou la notation adaptée et dynamique, l’inadaptation et l’échec scolaires, l’accueil des réfugiés et proscrits). Elle a conçu et conduit des expériences novatrices pour notre temps, réfléchi à des situations auxquelles nous sommes confrontés. Enfin, n’oublions pas de rappeler que l’École de Beauvallon est vivante, active, très demandée, et qu’elle accomplit, en demeurant fidèle à ses fondamentaux, une mission de service public. Le visiteur, toujours bien accueilli par les adultes et les enfants, apprend que chaque nouvelle génération d’élèves est initiée à l’histoire de son école et de ses fondatrices, si bien que « Mamie » est très présente, aussi bien à Beauvallon qu’à Valence, maintenant.

Bernard DELPAL

================================================= fin.

[1] [Louis Soubeyran] Essai historique et Généalogique sur les Soubeyran ou Soubeiran Cévenols et en particulier sur les Soubeyran de Montelimar et Dieulefit Originaires de Chassagnes, près de Privas, en Vivarais sur leurs descendants et sur quelques-unes des familles qui leur sont alliées, par Louis Soubeyran de Dieulefit. Édité à compte d’auteur (300 exemplaires), en 1934.
[2] Amie très proche, venue de la gauche du Front populaire, une dirigeante du CVIA (Comité de vigilance des intellectuels antifascistes), Andrée Viollis se réfugie à Beauvallon durant l’Occupation où elle milite activement en faveur des femmes et de leur résistance politique.
[3] L’un de ces dessins (plume et encre), retrouvé à Beauvallon, a été remis le 5 novembre 2009 au cinéma Le Labor (Dieulefit) à une autre rebelle et communiste critique, « porteuse de valise » , Anne Beaumanoir, à l’occasion de la publication de son livre autobiographique, Le feu de la mémoire.
[4] Dans son court récit de la remise du diplôme de « Juste », Marguerite Soubeyran signale que Germaine Chesneau (Peyrins), née également en 1894, a été distinguée au cours de la même cérémonie à Paris.

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