Allocution de Valérie Perthuis-Portheret
lors de La présentation de son ouvrage
« Août 1942. Lyon contre Vichy.
Le sauvetage de tous les enfants juifs du camp de Vénissieux. »
(Editions Lyonnaises d’Art et d’Histoire / Rhône Alpes Israël Echanges)
dans les salons de l’Hôtel de Ville de Lyon
en présence de Serge et Beate Klarsfeld, le jeudi 05 avril 2012.
Souvent la question m’est posée de savoir pourquoi je me suis intéressée à ce sujet et sous-entendu pour quelle raison j’ai gardé pendant des années la volonté de faire connaître cette histoire.
Travailler sur « Le sauvetage des enfants juifs du camp de Vénissieux des suites de la rafle du 26 août 1942 » est assez déroutant. Il s’agit tout à la fois d’établir les circonstances des faits d’une histoire effroyable mais également d’arriver à reconstruire les circonstances d’une histoire formidable, d’une histoire qui a changé le visage de la France.
Pour retranscrire les conditions de la mise en place de la rafle et du sauvetage, j’ai dû bien entendu lire et assimiler les ouvrages de références sur la persécution des juifs de France et par conséquent ceux de Maître Klarsfeld. Mais pour retracer les faits de mon sujet, je ne voulais évidemment pas envisager une simple compilation, je voulais entreprendre un véritable travail d’investigation. Il me fallait partir à la recherche de documents inédits, que j’obtienne coûte que coûte les dérogations pour les documents les plus compromettants, ceux qui mettaient en cause l’administration française dans l’œuvre de persécution des juifs de France. Il me fallait creuser le sujet en parcourant quelques centaines de boites d’archives dans l’espérance de trouver les bons papiers. La tâche était ardue, mais à force de pugnacité et sans doute de bons concours de circonstances, j’obtiens des dérogations sur plusieurs pièces maîtresses, parmi lesquelles, les minutes du procès du préfet régional de Lyon Angeli, déposées aux archives nationales, les minutes du procès de son intendant de police Cussonac et les rapports des préfets des 10 départements constitutifs de la région de Lyon, déposés aux archives départementales du Rhône.
Dans son introduction, l’ouvrage présente de façon très synthétique les principales étapes qui font qu’à la veille de la grande rafle du 26 août 1942 l’Antisémitisme d’Etat de Vichy et l’Antisémitisme allemand allaient converger dans le crime « contre l’humanité » et démontre qu’au niveau régional, Pierre Laval, qui a fait le choix d’offrir les services de l’appareil policier et administratif français, a pu compter pour faire appliquer les directives gouvernementales sur l’action du préfet régional de Lyon. En effet, Alexandre Angéli a été l’outil essentiel de l’organisation de cette grande rafle, s’appuyant, pour l’application des mesures administratives, sur les préfets des dix départements de la région de Lyon et sur son intendant de police. A la lecture des minutes du procès Angeli, une effroyable évidence doit être admise, Vichy qui gouverne la zone sud en toute souveraineté en 1942, n’a rien fait pour protéger la communauté juive, bien pire, elle l’a vendue aux nazis avec leurs enfants et proposer ses services. Un chapitre est consacré à l’organisation de cette grande rafle de la région de Lyon où 1016 juifs étrangers, hommes, femmes et enfants sont arrêtés et conduits au camp de Vénissieux, réquisitionné par le gouvernement de Vichy du 26 au 31 Août 1942. Une centaine d’autres sont également internés au Fort du Paillet à Dardilly et quelques autres à Fort Barraux en Isère.
Arrivés au camp de Vénissieux, les israélites étaient enfermés dans de nombreux baraquements extrêmement bien surveillés puisqu’il était prévu deux gardes mobiles pour un baraquement
Alors comment dans ces conditions, alors que tout a été entrepris pour que le coup de filet soit le plus vaste possible, ont pu se trouver réunis à Lyon, à l’intérieur du camp de Vénissieux des hommes et des femmes de toutes obédiences assez forts pour braver l’autorité de Vichy et réussir l’action collective de sauvetage d’adultes unique en France et l’action de sauvetage de 108 enfants juifs les plus exceptionnelles de la guerre ?
Je sais qu’elles coïncident avec le tournant de l’été 1942 où en zone libre la population comme les hauts dignitaires des Eglises de France commencent à prendre parti pour les juifs persécutés. Mais en premier lieu à Vénissieux, elles coïncident surtout avec la participation au sein de la commission de criblage d’hommes et de femmes exceptionnelles qui sortiront encore grandis de cette épopée. Sauvetage qui nécessite pour eux l’utilisation de la couverture légale et officielle de l’Amitié Chrétienne, organisme interconfessionnel fondé en mai 1941 et placé sous le haut patronage du cardinal Gerlier, du pasteur Boegner et du maire de Lyon Georges Villiers. Cette association s’inspire avant tout des principes chrétiens et, à l’heure du sauvetage de Vénissieux, ses membres ont déjà participé à des actions de secours auprès des réfugiés et des indigents français, apatrides ou de nationalités incertaines. Elle est, alors, constituée d’un comité d’honneur, des membres du bureau, d’une équipe de catholique, des représentants des Œuvres juives et enfin elle bénéficie de l’appui d’autres personnalités. Un chapitre est consacré à la présentation des acteurs du sauvetage intra-muros, en rendant compte des personnalités hors du commun, de ceux et celles qui à l’intérieur du camp furent les plus fervents défenseurs des adultes et des enfants. Parmi ces héros qui œuvrèrent à Vénissieux, on compte le père Chaillet, l’abbé Glasberg, Jean-Marie Soutou. A Vénissieux des membres juifs de l’OSE, l’Oeuvre de Secours aux Enfants, ont également agit au camp de Vénissieux sous le couvert de l’Amitié Chrétienne. Parmi elles, on compte Elisabeth Hirsch, Hélène Levy. Il faut souligner l’importance du rôle tenu par Georges Garel et de sa future épouse Lili Tager, ici présente, et de son futur beau-frère Charles Lederman. Il y a également Madeleine Barrot de la CIMADE, Comité Inter Mouvement auprès des Evacués. Rien n’aurait sans doute pu être entrepris au camp de Vénissieux sans l’action de Gilbert Lesage qui dirige le Service Social des Etrangers de Vichy. On compte également la présence de Denise Grunewald, d’Alice Szalbuk du Service Social d’Aide aux Etrangers. Tous, armés de leur expérience, ont plaidé chaque dossier l’un après l’autre avec ténacité devant la commission préfectorale de triage du camp de Vénissieux, argumentant, afin de faire bénéficier le plus grand nombre possible de ces infortunés, de clauses et de situations plus ou moins fictives car ils y étaient préparés.
A travers ce chapitre de présentation des biographies héroïques des acteurs, le constat est clair, alors que l’histoire de la rafle du 26 août 1942 à lieu à l’apogée d’une époque d’exclusions et de persécutions liées aux mesures de Vichy, les sauveteurs sont prêts à faire naître à Lyon un courant contestataire irréversible. L’affaire de la « nuit de Vénissieux» n’est pas la première entreprise de Résistance auquel participe les membres de la commission de criblage réunis à Vénissieux, mais elle fut la plus spectaculaire.
Contre le plan macabre des nazis soutenus par Vichy, alors que la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des français, par l’état français, se trame dans la banlieue de Lyon une incroyable épopée, et ce fut pour les “Amitiés Chrétiennes » l’occasion d’un devoir impérieux à remplir ; en tournant délibérément le sens des instructions de Vichy sur le criblage des juifs rassemblés au camp, afin de libérer le plus possible d’internés et de prendre en charge les enfants que les parents acceptaient de lui confier. »
Pour l’action portée en faveur des adultes à l’intérieur du camp de Vénissieux, j’ai retrouvé le témoignage écrit du docteur Adam. Il s’agit d’une archive essentielle, auxquels s’ajoutent d’autres documents importants, sans laquelle nous n’aurions sans doute jamais pu narrer et faire comprendre aux lecteurs dans sa globalité les formes de résistances entreprises pour sauver le plus de gens possibles, pour que ne soient conduits aux portes du crématoire que 545 des 1016 juifs internés au camp de Vénissieux. Le premier ouvrage leur rendait hommage, saluait leur courage, le présent ouvrage rend compte de leur réussite. Les mauvais résultats de cette « grande rafle » du 26 août 1942, déclarée par les autorités de Vichy comme moins « efficace» que prévue, du fait des fuites, vont encore être très largement accentués grâce à l’action très efficace des membres de la commission de criblage en faveur des déportés.
Mais le moyen le plus efficace et le plus employé pour rendre les gens non transportables est resté, pour le docteur Adam, la « lutte médicale ». Le docteur Adam et son équipe rendent de faux diagnostics, transforment certains détenus en faux malades…
Mais revenons encore, au récit des sauvetages. Alors que certains « sauveteurs » sont déjà à l’intérieur du camp pour tenter de libérer un maximum d’adultes, d’autres membres d’œuvres confessionnelles, à l’extérieur du camp, sont contactés pour libérer les enfants. Les dirigeants de l’équipe sociale de l’OSE sont réunis: s’ils doivent essayer de sauver un certain nombre de personnes de la déportation, ils ont pour but principal de libérer tous les enfants.
Au camp de Vénissieux, l’action la plus déterminante se porte donc sur le sauvetage de tous les enfants et aucun ne partira. C’est dans la nuit du 28 au 29 août que s’organise une nuit de course contre la montre où il faut persuader des parents affolés, qui parlent très peu le français, de céder leur droit de paternité, d’abandonner leurs enfants afin de leur laisser une chance de survivre. Le sauvetage en tant que tel est connu des historiens mais les circonstances de ce miracle restent encore floues. La réédition devait rendre compte des concours de circonstances, du déroulement puis des preuves du sauvetage. D’abord pour connaître puis expliquer les circonstances d’un sauvetage, il faut identifier les véritables sauveteurs, trouver les clés du sauvetage et c’est ceux là même qui m’en ont fait le récit. Les archives écrites n’ont que corroborer la véracité de leurs dires.
Au cours de mes travaux de recherche, j’ai eu la chance de rencontrer et d’échanger avec plusieurs sauveteurs qui se trouvaient à l’intérieur du camp dont Jean-Marie Soutou, C. Lederman, Madeleine Barrot, Elisabeth Kirsch et Lili Garel. Et c’est après des heures et des heures de confrontation entre les différents témoignages que je suis arrivée à rendre comptent des circonstances exactes dues à l’existence pour eux de l’utilisation d’une certaine marge de manœuvre.
En premier lieu, le sauvetage s’est organisé à l’intérieur du camp grâce au courage de l’abbé Glasberg qui, en compagnie de Jean-Marie Soutou, subtilise le télégramme du 18 août 1942 annulant la majeure partie des exemptions du télégramme du 5 août et qui enjoignait de livrer les enfants. Mais, il a également fallu, se souvient Charles Lederman, la perspicacité de Gilbert Lesage du Service Social des Etrangers. C’est lui qui a proposé aux membres de la commission de criblage de s’appuyer sur une autre circulaire. Celle-ci, bien connue des autorités du camp, mais annulée depuis sans que ces mêmes autorités le sachent, exemptait de la déportation les enfants non accompagnés.
C’est ainsi que précipitamment, les différents membres des œuvres confessionnelles et charitables réunis au sein de la commission de criblage décident d’organiser le « rapt » des enfants juifs de Vénissieux et de rendre, de manière fictive, un maximum d’enfants non accompagnés en obtenant non seulement l’accord des parents de se séparer de leurs enfants mais aussi qu’ils signent un acte de délégation de paternité en faveur de l’Amitié Chrétienne. Alors commença, se souvient Jean-Marie Soutou, pour l’équipe de l’Amitié chrétienne, cette tragédie nécessaire qui, dans l’angoisse, consistait à séparer les enfants de leurs parents.
Alors que l’intendant de police Marchais a quitté le camp, c’est probablement vers 5 heures qu’avait été réunie dans le réfectoire une centaine d’enfants, pour être conduits en cars dans un ancien couvent désaffecté, Montée des Carmélites à la Croix-Rousse, qui servait de local aux Eclaireurs Israélites. A l’intérieur des cars des enfants se trouvent Hélène Levy, infirmière, Georges Garel, Claude Guttman, dit Griffon, Charles Lederman et Elisabeth Hirsch.
Le traumatisme de la nuit de Vénissieux oblige les sauveteurs à reconsidérer leurs actions et à rentrer de plein pied dans l’action clandestine.
Devant toutes ces difficultés, toutes les organisations qui ont œuvré à Vénissieux au sein de l’Amitié Chrétienne s’interrogent sur l’action à mener pour garder l’efficacité du sauvetage intra-muros. Conduits montée des carmélites, les enfants ne sont pas pour autant en sécurité, le préfet régional Angéli doit remettre la main sur eux. Vichy lui ayant demandé de les récupérer pour les placer le 31 août à 18 heures dans un convoi en provenance de Nice, de passage à Lyon et à destination de Drancy…. Le matin même du sauvetage, Élisabeth Hirsch apprend par une assistante sociale de la préfecture, que la police s’apprête à reprendre les enfants et qu’il faut tous les disperser le plus vite possible.
Les éclaireurs israélites, les membres de l’OSE de mèche avec l’abbé Glasberg, le père Chaillet et tous ceux qui ont œuvré à Vénissieux pour sauver ces enfants ne disposent que de quelques heures pour placer tous les enfants, réunis dans le local des Eclaireurs Israélites de la montée des Carmélites en lieu sûrs tout d’abord sur Lyon et ses environs avant de les conduire ailleurs… Le premier ouvrage s’arrêtait donc à ce récit, celui du sauvetage intra-muros et de ses conséquences sur l’entrée en clandestinité des sauveteurs, la réédition devait se donner les moyens de prolonger le récit du sauvetage en retournant aux sources biographiques de chaque enfant.
Au cours de mes années de recherches universitaires, et pour ma première édition, j’avais eu la primeur de découvrir dans un des cartons de l’Alliance Israélite Universelle, à Paris, la liste de 😯 noms d’enfants sauvés au camp de Vénissieux établie par l’OSE et transmise à son bureau de Lyon en 1946. Cette liste publiée dans son intégralité dans la première édition m’a permis de lancer un appel à témoin pour retrouver d’autres enfants sauvés. A cela, j’ai pu bénéficier de l’aide de la découverte d’un carton du Tribunal Civil de Lyon où figurent les actes de délégations de paternité pour 84 de la centaine des enfants sauvés au camp de Vénissieux. Il s’agit d’archives maîtresses, dont une seule est publiée dans ce nouvel ouvrage. Si on en possède 84 et pas une centaine, ce ne sont pas parce que les autres ont disparu mais bien parce que d’autres enfants ont été sauvés autrement. L’acte de délégation de paternité ne pouvait être signé que si l’un des deux parents au moins étaient internés au camp de Vénissieux. Mais à ces 84 enfants ont été sauvés d’autres enfants, on sait également grâce à Gilbert Lesage que quelques dizaines d’adolescents ont pu être cachés sous les banquettes des cars qui conduiront les enfants du camp de Vénissieux au local des Eclaireurs israélites universelle montée des carmélites à la Croix-Rousse. Parmi les enfants ou adolescents sauvés qui ne figurent pas sur cette liste, j’ai recueilli le témoignage de Lotte Lévy qui, âgée de bientôt 16 ans, a dû se faire passer pour une assistante sociale de l’OSE pour sortir du camps. Grâce à René Nodot, j’ai fait également la connaissance de la petite Rachel Kaminker ici présente. Son nom ne figure pas sur les actes de délégation de paternité puisqu’elle était internée au camp de Vénissieux avec sa tante. La petite Rachel est alors âgée de 6ans et demi. Ses parents l’avaient confiée à sa tante maternelle afin de lui permettre de fuir la Belgique pour la France. Alors que la petite Rachel vient d’être arrêtée et internée au camp de Vénissieux, sa maman vient d’être déportée de Belgique avec son frère cadet, Marcel, par le convoi n°5 du 25 août 1942. Un mois et demi après le sauvetage, Rachel est orpheline, dans la nuit du 23 au 24 octobre 1942 son père est déporté dans le convoi n°15 partant de la Caserne Dossin de Malines vers Auschwitz. D’après les recherches entreprises par Rachel, Samuel Léon, son petit frère âgé de 2 ans est parti dans ce même convoi. Deux mois auparavant, …
Quinze années après la publication de la première liste de noms, cette réédition rend compte des identités de 89 enfants sauvés et de l’itinéraire de 38 enfants de la centaine sauvés et de l’existence de véritables filières de sauvetage à l’aide de cartes illustrées. L’ouvrage met en lumière l’un des aspects les plus délaissés de l’histoire des Juifs sous l’occupation, celui de l’histoire des enfants cachés et des anonymes qui les ont protégés. Il est vrai que l’histoire des enfants cachés de Vénissieux ne pouvait pas être laissée plus longtemps en suspens ou simplement suggérée. Quand j’ai commencé à faire la connaissance de certains de ces anciens enfants pour recueillir leurs témoignages, la tâche m’est rapidement apparue ardue. Pour beaucoup, le temps de leur enfance leur était encore étranger. Quel intérêt de ce souvenir d’un passage dans un camp quand on a que 6 ans, pourquoi ne pas respecter leur choix de vivre en occultant leur passé d’enfants traqués, d’innocentes victimes ayant eu somme toute la chance de survivre. Après tout, personne n’avait pris la peine d’écouter, la grande histoire s’était écrite sans eux, alors à quoi bon. Leurs témoignages étaient à mes yeux centraux, et mes questions étaient également celles de la nouvelle génération, celles de leurs enfants ou petits enfants. L’accord de principe finalement acquis avec un certain nombre d’entre eux, le travail de prises de témoignage peut débuter. Après chaque rendez-vous, le témoin comme moi-même ne ressortons pas indemne. A chaque prise de témoignage, il faut rouvrir les portes d’un passé enfoui mais jamais cicatrisé, la plupart d’entre eux n’avaient pas fait le travail de deuil.
Ces dernières années, on a souvent insisté sur le fait que la transmission de la mémoire, voire le devoir de mémoire, étaient apparus comme important voire essentiels à de nombreux anciens enfants cachés restés silencieux. Je dirais qu’il faut affiner l’analyse, tout du moins pour les enfants de Vénissieux. D’abord pour ne pas rester silencieux encore faut-il trouver quelqu’un avec qui discuter, l’historien doit être le meilleur interlocuteur. Lors des heures et des heures de prises de témoignages, tous les enfants sauvés m’ont apparu comme ayant bien mal survécu à la tragédie de leurs parents mais bien survécu à l’action de sauvetage. Je m’explique, tant que le témoignage s’attachait à reconstituer le parcours des enfants de la traque de leur famille dans leur pays d’origine par les nazis jusqu’à la chasse à l’homme organiser contre leur famille en France au temps des rafles marquées par l’arrestation puis la déportation des leurs, la charge émotionnelle de l’entretien correspondait au récit de la destinée de rescapés de la Shoah. Tous ces enfants se souviennent que leur histoire est imbriquée dans le sort de leurs parents qui ont fui leurs pays en fonction des soubresauts d’une chasse à l’homme qui débute pour certain dès 193 3 dans leur pays d’origine et qui se poursuivra en France dans leur pays d’accueil.
Pour l’ensemble des enfants sauvés au camp de Vénissieux, l’année 1942 marque le pire moment pour leurs familles. Le 27 mars 1942 a lieu le départ du premier convoi de déportation, puis à partir de juillet 1942 arrivent le « temps des rafles » marqué en particulier par la grande rafle du Vel d’Hiv du 16 et 17 juillet 1942, au cours de laquelle Jean Stern et sa mère échappent de justesse. Elle est suivie d’autres rafles opérées dans d’autres villes de la zone occupée qui poussent les juifs traqués à passer la ligne de démarcation pour fuir la zone occupée. On a confiance en la France, en Vichy, alors on tente de trouver refuge en zone libre. La mère de Jean Stern rentre en contact avec un passeur, qui, moyennant une petite fortune, les conduit jusqu’à Grenoble. Moins d’un mois après leur emménagement à La Tronche, leur vie s’écroule à nouveau. C’est dans la nuit du 25 au 26 août, se souvient Jean Stern, « vers 7 heures du matin, que les gendarmes viennent nous arrêter
Cette étape de la narration franchie, nous arrivons au récit des sauvetages extra-muros, ce n’est plus le rescapé qui parle mais l’enfant sauvé. L’indicible, l’insupportable sont chassés par l’épopée du sauvetage. L’intérêt de leur témoignage pour l’Histoire est multiple, leur récit est parfois le seul lien qui subsiste à leur parcours d’enfants de victimes puis à celui d’enfants de sauveteurs. La connaissance de leur vécu est parfois l’unique trace de la connaissance que nous aurons du sauveteur puisque l’histoire de ces enfants cachés est avant tout une histoire de la clandestinité. Les principales sources de connaissance de ces parcours d’enfants sont celles de l’histoire orale. Quelques archives écrites complètes parfois leurs dires, mais elles demeurent rares puisque la priorité était de maintenir la sécurité des enfants cachés. Toutes ces interrogations convergent vers une question récurrente dans l’étude de la France de Vichy qui est celle de l’attitude des français sous l’occupation. Concernant le travail d’écriture de cette Histoire des enfants cachés et des Justes qui les ont sauvés, beaucoup d’éléments rendent encore le récit d’une étude exhaustive improbable. Tout simplement parce que nous ne connaissons pas l’identité de tous les enfants sauvés au camp de Vénissieux mais également parce qu’un certain nombre d’enfants sauvés ne connaissent toujours pas l’identité du premier sauveteur. Par exemple, Marcel Frenkel se souvient très bien d’avoir été caché en premier lieu dans une famille lyonnaise qui avait un bateau lavoir, mais il ne connaît pas leur identité. Quand c’était possible, j’ai choisi de présenter l’itinéraire de l’enfant sauvé en tentant de dresser un tableau représentatif de certaines filières de sauvetage auxquelles ont participé de nombreux français dont certains demeurent encore anonymes. Beaucoup n’ayant pas trouvé d’intérêt à se faire connaître, ils s’étaient manifestés dans l’anonymat le plus complet au cours du sauvetage clandestin des enfants, ils le resteront après guerre. D’ailleurs, dans la chronologie des études historiques menées sur la seconde guerre mondiale, leurs parcours et l’action des figurants des sauvetages n’avaient jusqu’alors intéressé personne ou presque. Pourtant ce sont eux qui auraient pu davantage nous rendre compte des conditions dans lesquelles s’étaient déroulées les prises de contact pour l’organisation des sauvetages. Faute d’études approfondies et à fortiori de parutions sur le sujet, nous ne connaissons toujours que très peu les motivations du petit peuple des sauveteurs, c’est-à-dire des familles d’accueil. Mais à travers mon étude retranscrite dans cette nouvelle édition, il semble que les organisations comme l’Amitié Chrétienne, l’OSE, les éclaireurs israélites, la CIMADE, les institutions religieuses ont su recruter au sein d’institutions ou de familles françaises qui avaient pris la décision de cacher un enfant au péril de leur vie par simple humanisme pour éviter à ces enfants la persécution. Et c’est précisément cette motivation qui rend compte du choix moral et politique de tous ces « Justes » qui ont sauvés l’honneur de la France. C’est cet engagement qui marque leur choix d’être dans la résistance civile au service du sauvetage des enfants pendant que d’autres français, de plus en plus nombreux, rentrent dans la résistance armée.
Mais, au-delà de ce postulat, qui a son importance, dans le sens où nous n’avons pas derrière le sauvetage de ses enfants juifs du camp de Vénissieux, des intentions liées à des questions d’argent ou des questions de conversion de l’enfant, j’ai souhaité aller plus loin dans le témoignage afin de connaître l’analyse de l’enfant caché sur son histoire avec ses bienfaiteurs, , mais également avec ses fantômes. Quel était le sort de ses enfants à la Libération ? C’était en réalité le temps des derniers traumatismes, marqué par les séparations avec leurs familles de cœur qu’engendrèrent les retrouvailles avec les vivants et les morts. Après la guerre, beaucoup d’enfants se sont attachés à leur famille d’accueil et beaucoup d’entre eux, surtout les tout-petits ne les quittent que parce que contraints et forcés. Les retrouvailles avec les parents survivants, soit cachés, soit déportés, ont été pour un grand nombre d’enfants cachés, un nouveau traumatisme. Et en cela les témoignages des enfants sauvés rendent hommage à leurs sauveteurs
Pour contrebalancer la froideur des documents de l’administration, de la police ou encore de la justice, que la première édition devait faire connaître, j’ai ensuite résolument poursuivit mon travail d’investigation en rendant la parole aux sauveteurs et aux enfants sauvés du camp de Vénissieux, en leur donnant des visages, en leur demandant leur aspirations, leurs joies, leurs déceptions. Ce sont d’ailleurs les clés à la réalisation de cette réédition très didactique illustrées de 197 photos d’un fond de 500 photos que j’ai constitué pendant ces seize années de recherche.
Il fallait répondre à deux exigences, le premier ouvrage répondait plus spécifiquement aux attentes des historiens, cette exigence acquise et reconnue par les spécialistes, le second ouvrage devait pouvoir séduire d’autres lecteurs. D’autant plus que les éditeurs vous diront que le sujet n’est pas vendeur comme si aujourd’hui c’était le prix à payer d’une obsession d’Auschwitz ? Même à travers l’étude de ce sauvetage qu’on le veuille ou non Auschwitz reste la toile de fond. Car finalement si on a été obligé de demander à des parents de renoncer à leurs droits de paternité c’est bien que les sauveteurs voulaient éviter à leurs enfants leurs propres sorts, car des 545 adultes de Vénissieux déportés à Auschwitz par les convois 27 et 30 des 2 et 9 septembre 1942, la plupart furent gazés dés leur arrivée à Auschwitz. Aujourd’hui, nous ne connaissons l’existence que d’un seul survivant, Erich Altman dont l’histoire est illustrée dans l’ouvrage. De même si dès leur sortie du camp, à leur arrivée montée des carmélites, il a fallu disperser cette centaine d’enfants en quelques heures et les balloter pendant les trois années de guerre qui suivirent de cachettes en cachettes, c’est bien pour éviter à ces enfants d’être repris. L’acharnement de la police de Vichy allait être relayé après l’invasion de la zone libre par les allemands, le 11 novembre 1942, par la folie des bourreaux nazies et leurs acolytes, avec, à Lyon, le tristement célèbre Klaus Barbie. L’action de sauvetage a réussi car de tous les enfants sortis du camp de Vénissieux presque tous ont survécu jusqu’à la Libération. Cette réédition est un hommage des enfants à leurs sauveteurs, de tous les Français à tous ces Justes, qui, au péril de leur vie ont sauvé l’honneur de la France en leur épargnant d’être sauvagement gazés à Auschwitz.