Conférence Karski 23 mars 2011 – 20 h 30, à la Maison fraternelle (Dieulefit)
Programme de la soirée (organisée par LSP, Le Savoir Partagé) :
(voir ci-dessous une brève présentation du livre de Haenel)
Introduction
Bernard Delpal présente le livre de Y. Haenel, le contexte de sa parution et la controverse qu’il a suscitée. Il présente Annette Becker, explique pourquoi il lui a demandé de venir débattre autour du livre ; et rappelle le travail antérieur de Françoise Gratigny-Moinet à LSP sur les rapports entre fiction, histoire et témoignage.
Thème 1/ Quand la fiction prend le relais
Françoise Gratigny propose brièvement quelques pistes de réflexion autour de cet « objet littéraire » assez singulier qu’est le livre « Jan Karski ».
Yanick Haenel est né en 1967. Il est donc le représentant d’une nouvelle génération, qui n’a pas accès aux témoins directs et il a une perception « médiatisée » de l’histoire récente. D’ailleurs, la première partie de son livre aborde Karski comme un personnage filmé par Lanzmann dans Shoah, et la seconde s’en approche à travers le livre publié par Karski.
Que se passe –t-il quand la fiction prend le relais de l’histoire, « invente », sur la base d’une documentation fournie, pour combler les silences ?
Que peut apporter la fiction à l’historien ?
Annette Becker donne son point de vue sur cette question et raconte comment le livre de Haenel l’a incitée à s’intéresser à la figure de Karski et à entreprendre des recherches.
Par ailleurs, quel regard porte une historienne comme Annette Becker sur les hypothèses formulées par Haenel ?
Echange entre Bernard Delpal et Annette Becker autour de ce thème.
Thème 2/ Le témoin/ une figure d’aujourd’hui
Le livre de Haenel est construit autour d’un témoin qui n’a pas pu se faire entendre. Quelle place a cette figure pour les historiens d’aujourd’hui ? Aide-t-elle à comprendre les événements du passé ? Si oui, de quelle façon ?
Avons-nous besoin de « personnages », de « héros », bref, de fiction, pour mieux comprendre l’histoire ?
Thème 3/ Le juste : A. Becker
Le juste trouve-t-il encore sa place dans la fiction (Haenel) ou l’histoire du XXe siècle ?
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Il y a deux ans paraissait cet essai de Yannick Haenel, Jan Karski, dans la collection L’Infini, dirigée par Philippe Sollers. L’ouvrage est divisé en trois parties : dans la première, l’auteur rend compte de l’entretien de Karski, messager de la résistance polonaise, avec Claude Lanzmann, entretien partiellement inséré dans Shoah.
Dans la seconde, Haenel résume le témoignage de Karski publié en 1944 sous le titre : Story of a Secret State (New-York, 1944)
Dans la troisième partie, Haenel recourt à l’invention, à la fiction, comme il en avertit le lecteur. Par ce procédé,
il est suggéré au lecteur que Karski n’a pas convaincu ses interlocuteurs lors de sa tournée d’émissaire de la résistance polonaise, pendant la guerre. Et qu’il n’a pas pu livrer pleinement son témoignage dans le livre paru fin 1944. La fiction est donc censée aller au-delà de l’histoire convenue.
Par le biais de la fiction, Haenel s’interroge : qui va témoigner .. pour le témoin ? Nécessité d’autant plus forte pour Karski qu’il n’a pas réussi à obtenir des Alliés
qu’ils empêchent le génocide …
“C’est un véritable tourment de vivre avec un message qui n’a jamais été délivré, il y a de quoi devenir fou”.
Et Haenel de revendiquer le droit de mêler fiction et rélaité :
“Ce que je cherche, c’est un espace libre, loin de l’enfermement dans les genres. Dans l’histoire de la représentation occidentale, documentaire et fiction ne s’excluent pas ; au contraire, ils convergent : maintenir leur séparation relève de la vieillerie. S’il existe un geste artistique contemporain, c’est bien celui qui désoriente les identités, qui mélange, mixe, monte ensemble des éléments hétérogènes. Je cherche la vérité, mais elle n’existe pas toute cuite : il faut, pour s’en approcher, inventer un langage, c’est-à-dire en passer par la fiction.” (Libération, 11 janvier 2011)
Statue de Jan Karski avec un jeu d’échecs, inaugurée le 10 septembre 2002
dans le parc de l’université de Georgetown à Washington, où il enseigna durant quarante ans. Au
pied du monument, une plaque porte l’inscription suivante : « Jan Karski (Jan Kozielewski), 1914-2000, messager du peuple polonais à son gouvernement en exil, messager du peuple juif devant le monde, l’homme qui alerta de la destruction du peuple juif quand il était encore temps de l’arrêter, nommé par l’État d’Israël ” Juste parmi les nations “, un héros du peuple polonais, professeur à l’université de Georgetown (1952-1992), un homme noble qui vint parmi nous et nous rendit meilleurs par sa présence, un homme juste. »
Qui a commandé cette oeuvre ? Et quelle fut l’intention de l’artiste ? Suggérer une sorte de lassitude, de découragement chez Karski ?? Ou au contraire, esquisser une mise en garde ? Nous demanderons à ce propos à Annette Becker de nous éclairer à partir de ses très récentes recherches sur cette oeuvre.