Pourquoi le combat et l’engagement des Allemands en France, aux côtés de la Résistance française, sont-ils si mal connus, voire totalement ignorés ? Voici quelques réflexions qui permettent de saisir l’importance de l’exposition présentée à la Bégude, au Poët et à Dieulefit en septembre 2015.

La résistance allemande en France, durant la Deuxième Guerre, a trouvé ses historiens depuis la fin des années 1960 [1], avec une remarquable recrudescence depuis les années 1990, aussitôt après la chute du Mur à Berlin. Cependant, si les travaux historiques, du côté français comme du côté allemand, ont défriché ce secteur de la recherche, les opinions française et allemande ont été longtemps réticentes à accepter l’existence de cette résistance. Du côté allemand, par rejet fréquent des combats menés par des Allemands contre leur propre armée et contre leur patrie, au point de refuser le terme de « résistants » et de vouloir imposer celui de « traîtres » [2]. Et du côté français au nom de la « résistance franco-française », réflexe qui tient compte de la nécessité, dès la Libération, d’opposer la France résistante à celle de la défaite et de la honte, « la France de Vichy ». En 1987, lors de la parution du livre-référence de Éveline et Yvan Brès sur les maquis en Cévenne Union contre Hitler.jpgs, Gilbert Badia, coordonnateur d’études sur cette résistance allemande[3], peut écrire :

« … à ces hommes qui risquaient de tomber définitivement dans l’oubli il fallait rendre justice [à eux qui] en luttant contre les troupes d’occupation ont pris leur part à la libération de notre pays » [4].

Or, cette résistance allemande en France, très composite et en fait multinationale, est majoritairement communiste et en même temps internationaliste, comme le démontre la recherche en cours de Guilhelm Zumbaum-Tomasi (Centre Marc-Bloch, Berlin) [5]. Il est bien établi que cette résistance communiste a rencontré des obstacles aussi bien dans son histoire que dans sa transmission mémorielle et sa reconnaissance. L’itinéraire du grand résistant que fut Gehrard Leo, ses combats de l’après-guerre, ses écrits, montrent comment l’histoire de cette résistance dut faire face à la fois à une amplification idéologique (venue de l’Est, pour faire court) et une volonté négationniste, venue de divers horizons, entretenue par les affrontements idéologiques liés à la Guerre froide de l’après-guerre et àla coupure de l’Alleagne en deux États antagonistes [6]. Ce combattant et grand témoin dut attendre l’année 1986 pour que lui soit enfin délivrée une carte de « combattant volontaire de la résistance » (par l’ONAC). Il fut décoré de la Légion d’honneur… le 14 juillet 2004, en même temps que d’autres camarades allemands, comme si la République voulait tout à coup rattraper le temps perdu ! Gehrard Leo est heureusement très présent dans l’exposition présentée en ce mois de septembre 2015 !

    

[1]Bonte, Florimond, Les antifascistes allemands dans la Résistance française, Paris, 1969. Im Kampf bewährt, s. dir. de Heinz Voßke, Berlin (Est), 1969.

[2]Voir les travaux de référence de Hélène Camarade, germaniste (université de Bordeaux-Montaigne), et notamment son article : « La réception de la résistance allemande en République fédérale d’Allemagne depuis 1945 », in : La France, l’Allemagne et la Seconde Guerre mondiale. Quelles mémoires ?, s. dir. de Stephan Martens, P.U. de Bordeaux, 2007 (p. 95-115).

[3] Le résultat en a été publié : Les barbelés de l’exil, s. dir. de Gilbert Badia, PUG, 1979.

[4] Préface de Gilbert Badia au livre de Éveline et Yvan Brès, Un maquis d’antifascistes allemands en France (1942-1944), Les Presses du Languedoc / Max Chaleil, 1987. La zone des maquis et des combats recouvre principalement les Cévennes, mais implique plus précisément des villages et hameaux de la Drôme, de l’Hérault, du Gard et de la Lozère.

[5] Guilhem Zumbaum-Tomasi, « L’histoire et la mémoire des Allemands communistes dans la Résistance en France », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 100,  2007, p. 85-97.

[6] Gerhard Leo, Frühzug nach Toulouse Ein Deutscher in der französischen Resistance, Verlag Ed. Q, Berlin, 1992. Ouvrage de référence sur les maquis FTPF du Limousin et de Corrèze, et sur l’engagement des Allemands antinazis.

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