Après les interventions successives des invités, la parole a circulé entre la tribune et le public. Parmi des interventions et des questions à la fois intéressantes et suggestives, trois ont été retenues ici :

 

  • mais qu’est-ce qu’être juif ??
  • donner une médaille de justes, même collectivement et anonymement, n’est-ce pas incompatible avec l’héroïsme discret des habitants de l’époque, ne risque-t-on pas de dévaluer ce que l’on veut honorer ?
  • en quoi le Pays de Dieulefit mérite-t-il d’être honoré de façon particulière ?

 

 

Être juif : Pour R. Mizrahi, être juif, c’est appartenir à un peuple, davantage qu’à une religion : ” Ce peuple existe depuis Moïse et la sortie d’Egypte.. il a traversé les siècles et les persécutions …. grâce à la Torah… et je suis là ! “. A. Becker poursuit : ” Le peuple juif a une religion. Mais à peine 50 % des Israéliens sont pratiquants. Il faut considérer le peuple juif, et aussi une culture, une langue, l’appartenance au judaïsme. On peut être français et se définir comme appartenant au judaïsme. Le judaïsme est aussi mémoire… beaucoup de Juifs nés après la Deuxième Guerre sont des enfants de la Shoah … je suis une enfant de la Shoah”. H. Springer assure que le judaïsme est “une création extraordinaire, que l’on peut caractériser d’un mot : fidélité. Fidélité à la Loi, dit le religieux. Fidélité au bien et au bienfaiteur, pour le laïc. C’est cette tradition double que perpétue l’Etat d’Israël en distinguant les Justes.

On peut aussi rappeler cet aphorisme utilisé par Edgar Morin : “Qu’est-ce qu’un Juif ? Pour un Juif, c’est quelqu’un qui passe son temps à se demander ce qu’est un Juif – et pour un non-Juif, le Juif, c’est l’Autre”.

 

– décorer une personne ou un Pays, n’est-ce pas dévaluer l’acte que l’on veut honorer ? Certains font le parallèle avec la Légion d’honneur.  Souvent, observe-t-on, le ruban rouge est attribué sur recommandation, parce que le récipiendaire appartient à un réseau de notabilité, assez fréquemment.

Madame Priotto, maire de Dieulefit, répond sur ce point : ” Le titre de justes n’a rien à voir, dans sa philosophie, avec la Légion d’honneur. Ce que l’Etat d’Israël a voulu mettre en valeur a une portée universelle, c’est un message de fraternité … il s’adresse à tous les peuples … Décerner ce titre, c’est commémorer, c’est transmettre la mémoire de conduites exemplaires et donner des repères aujourd’hui”.

 

Pourquoi honorer le Pays de Dieulefit ? Au nom de quels mérites ?? Plusieurs interventions posent ce problème. Si le pays a acquis une certaine célébrité en raison du nombre élevé d’intellectuels et d’artistes qui s’y sont réfugiés de 1940 à 1944, quels peuvent bien être les titres invoqués par sa population ??

Successivement, C. Priotto, Henri Springer et A. Becker répondent sur ces points.

Pour Christine Priotto, la démarche en cours permettra de dire notre gratitude aux gens modestes, paysans, artisans, ouvriers, aux hommes et aux femmes peu connus qui ont caché des Juifs, des résistants, des personnes en danger et qui avaient besoin de solidarité …” Nous ne cherchons pas à en tirer de l’orgeuil, mais à témoigner à notre époque des actes forts qui contribuent à former la mémoire .. et cela, c’est très positif “.

   Le Père Springer rappelle d’abord que, persécuté, il a trouvé refuge au Pays de Dieulefit durant la Guerre. De cette expérience historique et personnelle, il tire une conviction. ” Ce qui fait la singularité de ce Pays, c’est qu’il y a régné la non-peur, un sentiment extraordinaire que l’on ne trouve pas ailleurs. La vraie protection des réfugiés réside dans ce sentiment. Mieux que dans la non-intervention des Allemands, par exemple. Une véritable atmosphère spirituelle baignait le pays, devenue atmosphère de non-dénonciation, de liberté, de solidarité. Pour cela, tout le  Pays mérite d’être distingué “. 

   Annette Becker rappelle que ceux qui ont été des sauveteurs ne savaient pas quel sort était réservé aux Juifs en Allemagne nazie. Ce qu’il y a de remarquable ici, c’est que ” les sauveteurs ont été la société en général, ce qui a retenu les éventuels bourreaux ou dénonciateurs. Le travail historique aujourd’hui, en restituant les faits et les choix du Pays, peut contribuer à obtenir un titre de ” Juste “, et cela irait très loin, bien au-delà d’une série de médailles individuelles “.

 

 

 

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